Sur le terrain conjugal

Krola dit en riant

Krola dit en riant :
- C'est le petit Metzner. Il a une voix remarquablement belle, au moins pour un amateur ; à la vérité c'est lui qui est l'âme du quatuor. Mais, dès qu'il sent le grand air, il est fini. Son destin le reprend avec une violence irrésistible : il faut qu'il se mette à pousser des ioulements… Mais revenons au jeune ménage. Vous ne me ferez pas croire, dit Krola, curieux d'entendre des récits de vie intime qu'il affectionnait, que ces deux-là ne sont pas un ménage heureux. Et pour ce qui est des querelles, je ne crains pas de redire que les Hambourgeoises ont une éducation d'un niveau qui exclut l'idée même de querelle.
Treibel balançait la tête :
- Voyez-vous, Krola, vous êtes un habile homme et vous connaissez les femmes ; vous les connaissez, comment dirais-je, comme seul un ténor peut les connaître. Car un ténor en sait beaucoup plus qu'un sous-lieutenant. Cependant, vous dévoilez, sur le terrain conjugal, qui est encore une autre question, une véritable déficience. Pourquoi ? parce que votre mariage, que ce soit par votre faute ou par celle de votre femme, a été un coup heureux, une exception. Comme le prouve votre cas, cela arrive aussi. Mais la conséquence est que vous - car les meilleures choses ont leur revers - la conséquence, dis-je, est que vous n'êtes pas un véritable mari, que vous n'avez pas de la chose une connaissance exhaustive ; vous connaissez l'exception, sans connaître la règle générale. On ne peut parler du mariage que quand on est passé à travers l'épreuve du mariage, quand on est un vétéran, couvert de cicatrices… Comment dit donc la ballade ?
Deux grenadiers s'en retournaient de France
Et marchaient la tête basse (1).
Voilà la bonne formule.

(1) Vers de la ballade "Les deux grenadiers" de Heinrich Heine, écrivain et poète allemand (1797-1856).