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Cré poule mouillée !

Cré poule mouillée !

Cré poule mouillée !

Je vous disais donc

Je vous disais donc

Paysage d'hiver par Cornelius Krieghoff via Wikimedia Commons

Je vous disais donc, continua-t-il, que si j’ai été un peu tough dans ma jeunesse, je n’entends plus risée sur les choses de la religion. J’vas à confesse régulièrement tous les ans, et ce que je vais vous raconter là se passait aux jours de ma jeunesse quand je ne craignais ni Dieu ni diable.
C’était un soir comme celui-ci, la veille du jour de l’an, il y a de cela 34 ou 35 ans. Réunis avec tous mes camarades autour de la cambuse, nous prenions un petit coup ; mais si les petits ruisseaux font les grandes rivières, les petits verres finissent par vider les grosses cruches, et dans ces temps-là, on buvait plus sec et plus souvent qu’aujourd’hui, et il n’était pas rare de voir finir les fêtes par des coups de poings et des tirages de tignasse.
La jamaïque était bonne, – pas meilleure que ce soir, – mais elle était bougrement bonne, je vous le parsouête. J’en avais bien lampé une douzaine de petits gobelets, pour ma part, et sur les onze heures, je vous l’avoue franchement, la tête me tournait et je me laissai tomber sur ma robe de carriole pour faire un petit somme en attendant l’heure de sauter à pieds joints par-dessus la tête d’un quart de lard, de la vieille année dans la nouvelle, comme nous allons le faire ce soir sur l’heure de minuit, avant d’aller chanter la guignolée et souhaiter la bonne année aux hommes du chantier voisin.
Je dormais donc depuis assez longtemps lorsque je me sentis secoué rudement par le boss des piqueurs, Baptiste Durant, qui me dit :
– Joe ! minuit vient de sonner et tu es en retard pour le saut du quart. Les camarades sont partis pour faire leur tournée et moi je m’en vais à Lavaltrie voir ma blonde. Veux-tu venir avec moi ?
- À Lavaltrie ! lui répondis-je, es-tu fou ? Nous en sommes à plus de cent lieues et d’ailleurs aurais-tu deux mois pour faire le voyage, qu’il n’y a pas de chemin de sortie dans la neige. Et puis, le travail du lendemain du jour de l’an ?
– Animal ! répondit mon homme, il ne s’agit pas de cela. Nous ferons le voyage en canot d’écorce, à l’aviron, et demain matin à six heures nous serons de retour au chantier.
Je comprenais. Mon homme me proposait de courir la chasse-galerie et de risquer mon salut éternel pour le plaisir d’aller embrasser ma blonde, au village. C’était raide !
Il était bien vrai que j’étais un peu ivrogne et débauché et que la religion ne me fatiguait pas à cette époque, mais risquer de vendre mon âme au diable, ça me surpassait.
Cré poule mouillée ! continua Baptiste, tu sais bien qu’il n’y a pas de danger. Il s’agit d’aller à Lavaltrie et de revenir dans six heures. Tu sais bien qu’avec la chasse-galerie, on voyage au moins 50 lieues à l’heure lorsqu’on sait manier l’aviron comme nous. Il s’agit tout simplement de ne pas prononcer le nom du bon Dieu pendant le trajet, et de ne pas s’accrocher aux croix des clochers en voyageant. C’est facile à faire et pour éviter tout danger, il faut penser à ce qu’on dit, avoir l’œil où l’on va et ne pas prendre de boisson en route. J’ai déjà fait le voyage cinq fois et tu vois bien qu’il ne m’est jamais arrivé malheur. Allons, mon vieux, prends ton courage à deux mains et si le cœur t’en dit, dans deux heures de temps, nous serons à Lavaltrie. Pense à la petite Liza Guimbette et au plaisir de l’embrasser. Nous sommes déjà sept pour faire le voyage mais il faut être deux, quatre, six ou huit et tu seras le huitième.
–Oui ! tout cela est très bien, mais il faut faire un serment au diable, et c’est un animal qui n’entend pas à rire lorsqu’on s’engage à lui.
– Une simple formalité, mon Joe. Il s’agit simplement de ne pas se griser et de faire attention à sa langue et à son aviron. Un homme n’est pas un enfant, que diable ! Viens ! Viens ! Nos camarades nous attendent dehors et le grand canot de la drave est tout prêt pour le voyage.
Je me laissai entraîner hors de la cabane où je vis en effet six de nos hommes qui nous attendaient, l’aviron à la main. Le grand canot était sur la neige dans une clairière et avant d’avoir eu le temps de réfléchir, j’étais déjà assis dans le devant, l’aviron pendant sur le plat bord, attendant le signal du départ.
J’avoue que j’étais un peu troublé, mais Baptiste qui passait dans le chantier, pour n’être pas allé à confesse depuis sept ans, ne me laissa pas le temps de me débrouiller. Il était à l’arrière, debout, et d’une voix vibrante il nous dit :
– Répétez avec moi !
Et nous répétâmes : Satan ! roi des enfers, nous te promettons de te livrer nos âmes, si d’ici à six heures nous prononçons le nom de ton maître et du nôtre, le bon Dieu, et si nous touchons une croix dans le voyage. À cette condition tu nous transporteras, à travers les airs, au lieu où nous voulons aller et tu nous ramèneras de même au chantier !