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Un certain conseil

Un certain conseil

Un certain conseil

A partir de "House of dusk" d'Edward Hopper via Wikimedia Commons

Dès mon âge le plus tendre et le plus facile à influencer, mon père m'a donné un certain conseil que je n'ai jamais oublié.
- Chaque fois que tu te prépares à critiquer quelqu'un, m'a-t-il dit, souviens-toi qu'en venant sur terre tout le monde n'a pas eu droit aux mêmes avantages que toi.
Il n'a rien dit d'autre mais il existait entre nous une complicité si rare que nous nous comprenions à demi mot, et j'ai su qu'il sous-entendait beaucoup plus qu'il n'en exprimait. Depuis, je m'efforce de réserver tous mes jugements - habitude qui a conduit vers moi de nombreuses natures singulières et m'a rendu victime de quelques raseurs aguerris. Un esprit fragile décèle très vite ce trait de caractère lorsqu'il se manifeste chez un individu normal et, de lui-même, il vient s'y attacher. Si bien qu'à l'université, on m'a faussement accusé de jouer les éminences grises à des fins personnelles, parce que je connaissais les révoltes les plus secrètes de garçons farouches, dont j'ignorais jusqu'au nom. La plupart de ces confidences naissaient d'elles-mêmes - je faisais souvent semblant de dormir, de réfléchir profondément, ou j'affectais une frivolité agressive, dès que je devinais à quelque signe indiscutable qu'un aveu intime pointait à l'horizon - car les aveux intimes des jeunes gens, du moins les mots dont ils servent pour les exprimer, tiennent le plus souvent du plagiat, tronqués de coupures évidentes. J'ai toujours un peu peur d'être injuste si j'oublie ce que sous-entendait mon père avec un certain snobisme, et que je répète avec le même snobisme : le sens des usages n'est pas distribué de manière équitable à la naissance.
Après avoir fait un tel étalage de ma tolérance, je suis bien obligé d'avouer qu'elle a des limites. Chacun est libre de fonder son comportement sur le rocher le plus inébranlable ou les sables les plus mouvants mais passé un certain point, je moque de savoir sur quoi il se fonde. Quand je suis revenu de la côte Est, à l'automne dernier, j'aurai presque souhaité que le monde soit en uniforme et se tienne à jamais dans une sorte de garde-à-vous moral. J'étais saturé de plongées chaotiques et d'aperçus privilégiés à l'intérieur du coeur humain. Seul Gatsby, l'homme qui donne son nom à ce livre, échappait à cette réaction - Gatsby qui représente pourtant tout ce que je méprise le plus sincèrement. Si la personnalité se traduit par une suite ininterrompue d'actions d'éclat, il devait y avoir en lui quelque chose de magique, une prescience suraigüe des promesses de l'existence, comme s'il était relié à l'une de ces machines ultra-sensibles qui détectent la moindre secousse sismique à dix-mille miles de distance. Cette sensibilité n'a rien à voir avec l'émotivité apathique qu'on nomme pompeusement "tempérament créatif". C'était un don prodigieux pour l'espoir, une aptitude au romanesque que je n'avais encore rencontrée chez personne, et que je ne pense pas rencontrer de nouveau. Non - Gatsby s'est montré parfait jusqu'à la fin. C'est ce dont il était la proie, les remous dégradants qu'entrainaît le sillage de ses rêves, qui m'ont rendu sourd pour un temps aux chagrins morts-nés des humains et à leurs transports si vite essoufflés.